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Droit du Travail : citoyenneté au long cours

Ancien inspecteur du travail, aujourd’hui professeur de droit public à Brest et spécialiste de l’histoire du droit du travail. Jacques Le Goff publie une version profondément remaniée et enrichie d’un ouvrage édité en 1985,1986 et 1989(1).
« La décomposîtion du collectif représente un défi considérable pour le syndicalisme, à qui il revient de repenser le social pour faire sa part à l’individuel. »

in OPTIONS N° 476 • 18 OCTOBRE 2004

Options : Les trois premières parties de votre ouvrage livrent la vision d’une citoyenneté interdite (1830-1880), puis esquissée (1880-1936). enfin reconnue (1036-1980). A quoi cor-respondent ces grandes césures, du point de vue de l’histoire du droit du travail ?

Jacques Le Goff : Elles correspondent à de profonds changements intervenus à plusieurs niveaux. Premier d’entre eux : la représentation du travailleur (appelé « salarié » à partir des années 1920-1930) dans le droit. Jusque dans les années 1880, il y apparaît uniquement comme un corps-machine, c’est-à-dire une pure force productive. Toute autre dimension de sa personne est niée et même méthodiquement déniée. C’est pourquoi je parle d’un statut « d’incitoyenneté » avec, déjà, une forme de tension liée au divorce naissant entre l’espace public et l’espace privé de l’entreprise, étranger à son environnement.
Au cours de ces années, il n’est question que de corps à protéger. La parole, que je tiens pour révélateur anthropologique du statut, en est totalement absente. C’est un droit des disciplines.

La deuxième période (1880-1936] est charnière avec une représentation enrichie du travailleur comme être de besoins, besoins qui débordent les seuls besoins physiques et physiologiques. Il ne s’agit plus simplement de « ne pas mourir » mais de « vivre". C’est pourquoi est soulevée la question du minimum dans le débat et bientôt, par une loi de 1915, du salaire minimum des travailleurs à domicile. Et l’on se met aussi à parler de « loisirs », de temps libéré du travail ; la question de l’autorité est discutée. Mais, faute d’un système organisé d’expression collective dans l’entreprise - les syndicats lui demeurent extérieurs -, la citoyenneté reste ^boiteuse ».

La troisième période, enfin (1936-1982), court jusqu’aux lois Auroux, point d’aboutissement du vieux projet de citoyenneté sociale, par mise en accord des problématiques de l’espace public et du mode de fonctionnement de l’entreprise. Le thème de l’amélioration des conditions de travail est révélateur. Apparu dans les années 1970, il est une manière d’étendre à l’entreprise ce qui prévaut au-dehors : le bien-être en voie île généralisation. Pour autant, les premiers droits reconnus en 1789 demeurent encore négligés dès lors que les droits individuels des salariés demeurent en souffrance. Révélateur : avec la loi du 4 août 1982 qui pose le droit d’expression « directe et collective », on en reste encore au vieux modèle collectif, et la citoyenneté plénière demeure en attente d’une reconnaissance qui vient dans la période suivante grâce à la jurisprudence de la Cour de cassation, sous la houlette de Philippe Waquet en particulier, qui consacre la liberté d’expression.

- Quel rôle a joué, toujours pour illustrer ces grands moments de rupture, l’organisation du monde du travail ?

- Pour aller à l’essentiel, le fait massif est la reconnaissance, par le droit du travail, de l’organisation spontanée du monde du travail. On parle bien ici de « reconnaissance » : celle, en 1864, d’un faux « droit de coalition », puis, en 1884, celle des syndicats.
En quelque sorte, on prend acte de faits acquis.
Cette stratégie n’est pas sans souci tactique extrêmement subtil visant en particulier, en 1884, la dissociation entre le politique et le syndical, dans l’espoir de « refroidir » des relations sociales portées à incandescence.
La Commune de 1871 est dans tous les esprits et alimente la hantise de l’explosion sociale. L’objectif est d’organiser le collectif pour « calmer le jeu » par de nombreux dispositifs de régulation sociale impulsés par l’Etat (règlement des conflits, négociation collective...).

La III" République réalisera un énorme travail et mettra tout en œuvre pour convertir te négatif du conflit en positivité : c’est le moment d’une grande et géniale inversion consistant à abaisser la température du corps social (loi de 1892 sur la résolution des conflits) avant de la convenir en création juridique (loi de 1919 sur les contrats collectifs), comme dans le judo où le négatif est transformé en positif.
Un peu plus tard, années 1930, on en viendra à reconnaître le collectif au sein de l’entreprise elle-même, via les délégués du personnel et, bientôt, le comité d’entreprise. C’est une autre étape décisive rendant pensable la perspective d’une articulation mieux équilibrée entre l’économique et le social, un social qui a quitté, à partir des années 1880-1900, son statut de pur chevalier servant de l’économique pour s’ériger en espace de droits opposables à la pure efficacité productive. Et bientôt, à la faveur du fameux compromis fordien, s’instaurera entre eux un rapport de tension extrêmement fécond évoluant vers un type d’imbrication de plus en plus forte, pour le meilleur et pour le pire.

- Ces trois grands moments traduisent-ils une sorte de progression continue ?

- Je ne suis pas assez naïf pour décrire une perspective inexorable d’ascension. Mais le progrès est indubitable, même s’il a connu des vitesses variables de développement, voire des involutions.
Il faut se défaire de l’idée d’un droit du travail « tout bon » pour les salariés. Certes, les luttes ouvrières ont joué un rôle déterminant dans sa construction ; mais d’autres acteurs, à commencer par le patronat, avaient intérêt à son développement.
On sait le rôle que la politique des bons salaires - le "fine dollars day » de Ford - a eu dans la dynamique de croissance et de profits. Et cela est particulièrement vrai pour la première période, au cours de laquelle l’amorce de droit du travail est complètement accordée aux intérêts de l’industrie en se souciant fort peu du travailleur en tant que tel : sa fonction est de discipline, d’atomisation et de survie. C’est plus tard que viendront les normes effectivement positives pour les salariés.

- Certaines lois sont très connues (Smig, Smlc, quarante heures...). Pouvez-vous citer des lois plus « discrètes » mais qui ont durablement modifié le cours des choses ?

- On peut en citer trois.
La plus brève : celle du 19 juillet 1928 relative au transfert d’entreprise et à ses conséquences sur les salariés (L.122-12 aujourd’hui). Un seul article, mais un texte décisif qui introduit une nouvelle représentation de l’entreprise, le travailleur n’étant plus lié d’abord à l’employeur comme personne physique mais à un ensemble objectivement organisé.
Et une loi plus connue : celle du 24 juin 1936 sur les conventions collectives qui crée, presque incidemment, les délégués du personnel.
Ou encore la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, certes bien connue, mais ignorée dans les effets qu’elle va engendrer selon une logique inverse au but poursuivi. Ce but était la réparation des accidents. Mais, du fait des coûts induits, les entreprises vont devoir s’assurer, et les assurances vont exiger des garanties de protection des machines. En sorte que, de la réparation, on en vient insensiblement à la prévention, qui est tout de même mieux accordée à la justice.

- Prenons la période plus récente- Votre livre parle, dans une dernière partie, d’une citoyenneté « ébranlée » (1981 à nos jours). Assistons-nous à une rupture historique ?

- Pas sur le plan du droit du travail, même si on perçoit bien des formes de retournement, voire de régression dans certains domaines (précarité, conditions de travail plus intenses..-), avec il est vrai des progrès en d’autres.
La rupture tient davantage aux changements de fond qui affectent la société, qui d’industrielle devient postindustrielle, société de l’information. D’où des menaces de délitement de la citoyenneté sociale. J’ai cité la précarisation dans ses formes multiples.
Il faut ajouter la décomposition du collectif qui représente un défi considérable pour le syndicalisme à qui il revient de repenser le social pour faire sa part à l’individuel et prendre en compte les aspirations des individus.

Il faut inventer un social « transpersonnel » au lieu du grand social massif d’antan. Dans le même temps, la relation de travail plus individualisée fait une part nouvelle au contrat de travail redécouvert au cours de la dernière période comme instrument de relative protection du salarié. Paradoxe : à l’heure où la citoyenneté sociale s’érode, la citoyenneté civile prend consistance avec, en particulier, les progrès de l’expression des salariés. Ceux concernant les cadres sont étonnants, depuis que la Cour de cassation, dans un arrêt de 1999, leur a reconnu le droit de critique dans l’entreprise. Un droit inimaginable il y a à peine vingt ans !

(1) Jacques Le Goff, « Du silence à la parole, une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours », préface de P. Waquet. postface de C Chetcuti, Presses universitaires de Rennes, 2004, 28 euros.OPTIONS N° 476 • 18 OCTOBRE 2004 33


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