Syndicat CGT Finances Publiques
Section des Bouches du Rhône
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Travailleurs sociaux : Délation : Refus éthique.

Mise en ligne le 2 février 2005

Obliger les éducateurs à communiquer leurs informations aux autorités ? La demande de Nicolas Sarkozy avait mis le feu aux poudres. Depuis, le nouveau ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin, change de stratégie, sans rien abandonner à l’esprit
de ce projet.

JEROME ANCONINA IN OPTIONS N° 482 * 24 JANVIER 2005

II faudra désormais s’habituer dans nos contrées à la répression préventive, qui prétend s’attaquer à la délinquance en déployant un arsenal administratif, juridique et policier à l’encontre de populations présumées « à risques » : les pauvres, les immigrés, les personnes les plus fragiles de notre société. Sous couvert d’une prise en charge « mieux adaptée » et d’une " prévention plus efficace de tous les services de l’Etat », le gouvernement est en train de mettre en place un système qui cache mal des ambitions de contrôle social généralisé de ce que le 19ème siècle appelait déjà les « classes dangereuses ».

« La question de la prévention de la délinquance, et dans le même temps du contrôle social, a toujours été une préoccupation plus ou moins affichée des pouvoirs publics, explique Jean-François Marsac, sociologue et secrétaire général de l’Ufas-Santé.

La situation actuelle résulte de la rencontre entre un courant de fond et une politique sécuritaire. Depuis une quinzaine d’années est apparu, venant d’outre-Atlantique, le concept de "tolérance zéro" qui a imprégné la classe politique française autant à droite qu’à gauche. Il s’agit pour les pouvoirs publics de ne rien laisser passer, de montrer aux citoyens que tout acte délictueux, si minime soit-il, sera sanctionné. C’est dans ce contexte sécuritaire fort, qui s’attaque en fait plus au sentiment d’insécurité des citoyens qu’à une insécurité réelle, que les derniers gouvernements se sont employés à mettre en place des politiques répressives. Et de Vaillant à Villepin en passant par Sarkozy, les attaques aux libertés fondamentales n’y vont pas avec le dos de la cuiller ! »
Le projet élaboré par Nicolas Sarkozy imposait notamment « à tout professionnel qui intervient au bénéfice d’une personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’en informer le maire de la commune de résidence". Une idée qui, dans la foulée de "la reprise en main des quartiers criminogènes », avait séduit, en novembre 2003, la municipalité de Chambéry. Un protocole de concertation avait été signé par le préfet, le président du conseil général, les services de police et de gendarmerie et le président de la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence. « C’est une remise en cause de l’essence même de notre métier », explique Antoine Plaquet, éducateur en prévention spécialisée à Paris et élu au CE de l’Ufas : "La loi de 1972 requiert l’anonymat et la libre adhésion des jeunes aux programmes d’éducation spécialisée, poursuit-il. La prévention est un travail sur la durée qui nécessite la confiance entre le jeune et l’éducateur, qui fait appel à un savoir-faire et une déontologie spécifiques (entre autres le secret professionnel) et qui n’a rien à voir avec le renseignement policier.

Puis il y eut, en juin dernier, l’affaire de Vitry-le-François où le conseil général avait demandé aux travailleurs sociaux de remplir des fiches avec le nom des usagers rencontrés dans le cadre de leur travail, et ce, sans les en informer. Un fichage nominatif dans lequel devaient apparaître des renseignements sur la situation du couple et où des cases -Vih, alcoolisme, toxicomanie, troubles mentaux, « difficultés éducatives » -devaient être cochées par les services sociaux.

Les événements de Chambéry et de Vitry- le- François provoquent un véritable tollé chez les travailleurs sociaux, dont la mobilisation se renforce en même temps qu’elle s’élargit à d’autres professionnels : les assistantes sociales, les médecins de la Protection maternelle et infantile (Pmi) et les personnels de l’Education nationale. Une mobilisation qui s’organise au sein d’un collectif national unitaire (Cnu) réunissant, entre autres, la Cgt, la Fsu, Sud-Santé, la Cnt, le Syndicat national des médecins de Pmi, le Syndicat de la magistrature, la Coordination des étudiants du travail social, la Ligue des droits de l’homme, Ac !... Dominique de Villepin remplaçant Nicolas Sarkozy Place Beauvau, la confrontation entre professionnels et ministère change de style. Mais pas d’enjeu. « L’ancien ministre ne cachait pas ses intentions, rappelle Antoine Plaquet. qui siège pour la Cgt au collectif national. Il était dans la provocation, nous savions à quoi nous en tenir et nous pouvions mobiliser nos forces. Avec le ministre actuel, les choses se compliquent. Il tente de calmer les esprits en retirant de son projet la question du secret professionnel. Il ne se présente plus comme le pilote de ce projet interministériel et botte en touche en renvoyant les travailleurs sociaux vers leur ministère de tutelle ».
Une stratégie gouvernementale plus habile et plus diffuse ; il n’y a pour l’instant aucun avant-projet sur lequel travailler, bien que le gouvernement annonce un projet de loi pour le premier trimestre 2005. "Tout se fait en catimini, estime Evelyne Sire-Marin, membre du Syndicat de la magistrature. Même les maires qui pourraient être au centre de ces mesures n’ont plus été consultés. S’il arrive un drame dans une famille sur laquelle un maire avait des informations, il risque de devenir comptable devant les électeurs de sa capacité à résoudre les problèmes signalés alors qu’il n’en a la plupart du temps pas les moyens. « Et, sur le terrain, les « expérimentations » se poursuivent, « Il y a quelques jours, le procureur de la République de la Marne a été informé par l’état- civil qu’une jeune femme mineure venait d’avoir un enfant, et il a demandé aux services sociaux de lui envoyer un rapport. Comment !e procureur a-t-il eu en main ces informations, et dans quelle mesure les services sociauxsont-ils tenus de dévoiler leurs informations ?" s’interroge Bruno Perceboix, médecin de Pmi et membre du Snmpmi.

Derrière ce genre d’enquête, se profile le retour à la traque des filles mères, rebaptisées « familles monoparentales ». Car si les projets législatifs de Dominique de Villepin restent flous, la philosophie de sa politique ne l’est pas. A plusieurs reprises il s’est plus qu’inspiré du rapport parlementaire sur la prévention de la délinquance présidé par le député Ump du Val-de-Marne Jacques-Alain Bénisti. Un rapport qui préconise de traquer la délinquance dès les premières années du nourrisson en faisant notamment pression sur les mères étrangères qui, à cause de leur « patois étranger », engagent leurs enfants sur la voix de la "déviance". « C’est aux services de Pmi, aux médecins, aux assistantes sociales, aux puéricultrices que l’on demande de "dénoncer" des familles déjà coupables de ne pas être dans la norme », s’insurge Bruno Perceboix. Une logique qui est déjà en œuvre dans l’Education nationale. « Tous les jours, par des textes, des circulaires ou des conventions, la machine de contrôle social se met en place, explique Danièle Atlan, assistante sociale, secrétaire fédérale de la Fsu et membre du Cnu. Aujourd’hui, l’absentéisme est considéré comme un délit, les chefs d’établissement envoient à une commission de Ï’inspection académique les listes des enfants absentéistes, commission qui transmet l’information au préfet. Les parents sont alors convoqués, et des peines tombent, depuis le « stage de parentalité » jusqu’à la suppression des allocations familiales et à des peines de prison.
Le plus souvent, on inflige ces traitements à des familles dont la priorité est d’abord de surnager socialement. On les stigmatise encore et encore ; pourtant, je n’ai jamais rencontré une famille qui se moquait de la scolarité de son enfant", affirme l’assistante sociale. Stigmatisation encore et toujours avec les contrats individuels de réussite éducative, signés entre les parents, l’école et les partenaires extérieurs. « On individualise l’échec scolaire pour ne pas remettre en cause l’institution. Ceux qui ont les moyens peuvent trouver des solutions pour leurs enfants. Aux autres, on impose des contrats, on somme les parents d’aller voir un psy. Ce qui devrait être une aide est transformé en injonction. »

Le projet Sarkozy de prévention de la délinquance a été écarté par son successeur qui n’a pas encore proposé son propre projet de loi. Et pourtant, aujourd’hui en France, la culture du secret partagé est en train de se généraliser. Il faut tout dire, tout révéler, tout déballer. Pour le « bien de l’enfant », les assistantes sociales sont tenues de fournir à l’inspection académique et à la préfecture les listes d’enfants en situation irrégulière. Des enfants et leurs familles ont ainsi été arrêtés et reconduits à la frontière. Chaque établissement scolaire a dorénavant un correspondant de police, un référant habilité à intervenir sur chaque problème. Les travailleurs sociaux se retrouvent donc pris en otages dans cette vaste entreprise de maillage social dont il est pour l’instant difficile de cerner les contours. C’est pourquoi le collectif national unitaire appelle à nouveau à une manifestation le 3 février pour dire non aux mesures stigmatisant la pauvreté, non au fichage social et non à une société sécuritaire et aux lois liberticides.


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