Syndicat CGT Finances Publiques
Section des Bouches du Rhône
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La concurrence contre l’harmonisation

Mise en ligne le 2 juin 2005

Vouloir une harmonisation sociale en Europe : est-ce vraiment impossible ?
Nous publions ci-dessous une contribution au débat de l’économiste Michel Husson.

La concurrence contre l’harmonisation

Michel Husson in Regards, juin 2005

Que se passe-t-il dans un ensemble où coexistent des pays à niveaux de productivité et de salaires très
différents ?

Il y a deux scénarios tranchés : soit la mise en concurrence, soit l’harmonisation.
Celle-ci repose sur un rattrapage de productivité dans les pays où elle est inférieure, avec effet d’entraînement sur les salaires. Les écarts initiaux se réduisent, et il y a convergence vers le haut.

Au lieu de se spécialiser sur les branches où l’argument du coût salarial est prépondérant, les pays concernés « remontent les filières » et les spécialisations tendent elles aussi à converger.

Pour enclencher ce processus, certaines conditions doivent être respectées.
Il faut que les pays qui intègrent une zone économique conservent une latitude de progression plus rapide des prix pour accompagner le rattrapage de productivité, et qu’ils bénéficient de transferts aidant à soutenir la convergence. Il faut ensuite que soit établie une norme de progression salariale en fonction de la productivité, ce qui passe le plus souvent par des luttes sociales. Ces faits stylisés peuvent être illustrés par l’entrée dans l’Europe des pays méditerranéens (Espagne, Portugal, Grèce).

En privilégiant la mise en concurrence, la logique néo-libérale qui sous-tend la construction européenne
réellement existante fait obstacle à la mise en place d’un tel scénario.

D’abord, elle ferme le robinet des transferts en limitant le budget européen et en interdisant la création de ressources nouvelles ou le recours à l’emprunt. Ensuite, elle fait de la stabilité des prix une priorité absolue, réduisant d’autant les possibilités d’ajustement. Les pays entrants se voient de fait appliquer les fameux critères de Maastricht, même si leurs monnaies ne sont pas entrées dans l’euro. Enfin, et surtout, l’option libérale s’oppose à toute norme en matière salariale et la liberté absolue des mouvements de capitaux exerce au contraire une très forte pression à la baisse.

Les effets de ce second scénario vont à l’inverse de l’harmonisation : il fait obstacle à la distribution des gains de productivités aux salariés, et reproduit une spécialisation régressive.
Il est essentiel de comprendre que cette configuration est défavorable à l’ensemble des salariés, indépendamment du « classement » du pays où ils travaillent, car leur mise en concurrence bloque la progression générale des salaires dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Les inégalités salariales se creusent, et la condition salariale est encore dégradée par les « réformes » des systèmes de protection sociale, eux aussi soumis à la concurrence. La répartition inégalitaire des richesses produites contribue à plomber la croissance et l’emploi, tandis que l’accumulation du capital est redéployée vers le reste du monde.

Le « non » de gauche a clairement choisi la voie de l’harmonisation et en a logiquement déduit qu’il fallait
s’opposer à la constitutionnalisation de tout ce qui fait pencher du côté du mauvais scénario. Une Constitution idéale devrait comporter un article stipulant par exemple que « l’Union garantit à chacun un revenu équitable dont le niveau et la progression doivent être en adéquation avec la productivité de chaque pays ». Cet article sera certes plus facile à écrire s’il ne requiert pas l’unanimité, mais il ne s’agit plus seulement d’organiser les rapports entre Etats. Il faut maintenant restituer un point de vue de classe transnational : partout en Europe, ce sont en effet les possédants qui tirent les bénéfices de la mise en concurrence généralisée des salariés. L’offensive sur le terrain institutionnel doit donc s’appuyer sur la reprise de la discussion de règles cohérentes avec l’objectif d’harmonisation.

Il y a quelques années, des syndicats allemands, belges, néerlandais et luxembourgeois, réunis au sein du « groupe de Doorn », avaient travaillé sur une idée simple : la complétée d’une norme de répartition qui serait par exemple : pas de salaire inférieur à la moitié du salaire médian. La rupture avec l’eurolibéralisme passe désormais par cette bataille en faveur de critères sociaux de convergence.


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