Syndicat CGT Finances Publiques
Section des Bouches du Rhône
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Simplification libérale par Michel Husson

Mise en ligne le 20 septembre 2005

Simplification libérale

Michel Husson
Economiste, membre de la Fondation Copernic et du Conseil scientifique d’Attac
In Regards, octobre 2005

Le site : http://hussonet.free.fr/

La réforme fiscale annoncée par Dominique de Villepin a quelque chose de paradoxal.
Elle va représenter un manque à gagner pour l’Etat, puisqu’elle consiste en pratique à réduire les impôts des « classes moyennes ».
Or, nous avons un budget en déficit, qui flirte avec la fameuse norme européenne de 3 % du PIB, et c’est même pour cela qu’il a fallu obtenir des assouplissements du fameux Pacte de stabilité, au printemps dernier.
Bref, en baissant les recettes, on va creuser le déficit.

Comment se résout alors ce léger problème comptable ?
Tout simplement, en faisant de cette contrainte un argument : vous voyez bien qu’il est impératif de réduire les dépenses !
Cette stratégie de « réforme déséquilibrante » a déjà été utilisée pour la santé ou les retraites, mais elle ne fait que déplacer le problème. Les impôts ne sont pas seulement un « prélèvement obligatoire », ils financent des services publics auxquels les Français sont profondément attachés. A cette difficulté, les libéraux ont une réponse toute prête : il suffit de moderniser l’Etat, autrement dit de rendre les mêmes services (publics) à moindre frais.
La formule plaira aux pourfendeurs de l’Etat inefficace, mais elle s’évapore assez rapidement quand on la confronte aux réalités. Comment en effet « moderniser » la justice, l’école, ou l’enseignement supérieur sans les ressources nécessaires les faire vivre décemment ?

Un exemple : l’Academic Ranking de l’Université de Shangaï (1) vient de classer les universités françaises au fin fond de la classe. Le même jour ou presque, l’OCDE (2) nous apprend que les dépenses (hors recherche) s’élèvent en France à 7300 dollars par étudiant, alors qu’elle
dépassent 8500 dollars en Australie, au Danemark, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.
Croit-on sérieusement que la misère des universités françaises relève du qualitatif ?

De telles considérations laisseront de marbre les riches, parce que la beauté de ce genre de « réforme », c’est qu’ils gagnent sur tous les tableaux. Si on baisse les impôts, ce sont eux qui en profitent ; et si ces cadeaux fiscaux creusent le déficit, ils en profitent aussi au moment de souscrire aux obligations du Trésor émises pour financer le déficit ainsi provoqué.
Comme on le voit, on passe très vite de la discussion du budget à celle des inégalités. Les choses sont ici particulièrement limpides : l’impôt sur le revenu est le seul juste en raison de sa progressivité. C’est donc évidemment lui qu’il faut baisser, sans oublier au passage, d’écrêter l’Isf, en plafonnant à 60 % de son revenu ce que les plus hauts revenus pourront verser à l’Etat.

On nous répète que cette réforme ne concerne pas la moitié des ménages les plus pauvres qui ne paient d’impôt sur le revenu. Il se trouve qu’ils paient tous les autres impôts, TVA et TIPP notamment, et au même taux que les milliardaires. De ce point de vue, la TVA est une flat tax, autrement dit un impôt dont le taux est le même quel soit le revenu. Et cela va même un peu plus loin : comme les pauvres épargnent peu, leur contribution est du coup plus élevée en proportion de leur revenu.

C’est ce type de « neutralité » dont rêvent les libéraux, comme Paul Kirchhof en Allemagne, que l’on
présente comme le prochain ministre des finances en cas de victoire de la droite. Mais c’est aussi la voie empruntée par Dominique Strauss-Kahn, quand il propose une augmentation de la TVA. Il est pourtant facile de comprendre que celle-ci réalise une ponction immédiate sur le pouvoir d’achat des salariés.

En matière de fiscalité, les deux questions primordiales sont de savoir qui paie l’impôt, et selon quelle clé de répartition.
De ce point de vue, de très nombreuses études (3) ont depuis longtemps établi que l’impôt sur le revenu est, avec les droits de succession, le meilleur levier de la redistribution. Cette réforme fiscale, qui se réclame de la simplification, n’en est donc pas dépourvue.
C’est très simple en effet.

Elle entend faire d’une pierre deux coups : tarir les ressources publiques pour faire pression sur les dépenses, et rendre le système fiscal français encore un peu moins redistributif.

(1) http://ed.sjtu.edu.cn/ranking.htm
(2) OCDE, Statistiques et indicateurs de l’éducation
http://www.oecd.org/document/34/0,2340,fr_2649_34515_35289762_1_1_1_1,00.html
(3) voir la magistrale fresque de Thomas Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle,
inégalités et redistributions 1901-1998, Grasset, 2001.


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