Syndicat CGT Finances Publiques
Section des Bouches du Rhône
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Le fil rouge de l’histoire sociale marseillaise

Mise en ligne le 31 août 2006

Le fil rouge de l’histoire sociale marseillaise

Ces dernières années sont marquées par de forts mouvements sociaux face à l’offensive libérale de destruction systématique des solidarités et des construits collectifs :
Protection sociale, services publics, droit du travail, fiscalité, c’est la "blitzkrieg", avec des armes de destructions massives que sont les dérèglementations, les privatisations, le dumping social,... et la soumission de l’intérêt général aux profits de quelques uns, du "politique à la Finance", l’abandon du bien commun aux intérêts de quelques particuliers : actionnaires rentiers obsédés par le taux de profit, détenteurs de "stock- options" et autres "coquins" fossoyeurs du service public et pourvoyeurs de marchés juteux.

Le tout reposant sur un matraquage idéologique : on a mangé notre pain blanc, le temps des vaches grasses est terminé, on vit au dessus de nos moyens, y’en aura pas pour tout le monde, "prend ça, c’est mieux que rien"... Regarde ton voisin, c’est un privilégié ! il est fonctionnaire ! Super le CNE par rapport à ta fin de droits assedics ! Vive la Prime pour l’Emploi, ton patron ne t’augmente pas et tu te la payes avec la TVA que tu payes tous les jours !

"Laissons les inégalités se creuser pourvu que la misère ne nous fassent pas des Jean Valjean mais des Ténardier..."
Et vive le darwinisme social ! le rêve d’un monde où "chacun est uni contre tous les autres".

Seulement voilà : il y a des résistances, des exigences, des mobilisations, des envies, des désirs, des luttes, de l’impossible qui devient possible parce qu’il est nécessaire. Un autre avenir et le droit d’avoir des projets.

Marseille et les Bouches- du- Rhône résistent et se mobilisent.(laissons de côté les poncifs du micro- climat et du pagnolisme).
Résistance à la casse sociale, aux affairistes, aux bons bergers et aux arracheurs de dents, mais aussi propositions alternatives de développement économique, social et culturel.

Le syndicalisme occupe une place centrale dans le mouvement social du département, et la CGT y est pour beaucoup !

Retour sur l’année 2005, avec ci- dessous une interview de Robert Mencherini, historien, parue dans le journal l’Humanité du 5 novembre 2005


Pour l’historien Robert Mencherini, Marseille a une spécificité en matière de luttes ouvrières depuis le début du XXe siècle, marquée par la destinée portuaire de la ville et l’immigration économique.

Robert Mencherini est professeur d’histoire contemporaine à l’IUFM d’Aix-en-Provence, enseignant-chercheur, auteur de plusieurs ouvrages de référence.

Depuis plusieurs semaines, Marseille fait l’actualité sociale (SNCM, RTM, Nestlé) tandis que, depuis 1995, les manifestations y sont souvent les plus importantes de France. Retrouve-t-on cette particularité au cours du siècle passé ?

- Robert Mencherini Depuis le début du XXe siècle, Marseille a une spécificité en matière de luttes ouvrières. À cette époque, Victor Griffuelhes, dirigeant national de la CGT, alors adepte du syndicalisme révolutionnaire, fait étape à Marseille dans le cadre d’un « voyage révolutionnaire en France ». Il souligne l’existence d’un mouvement ouvrier « pétillant ». Cà-dire qu’il n’y a pas toujours une organisation permanente structurée en profondeur mais les explosions sociales y sont régulières. Et il ajoute : « Les marins continuent leur combat revendicatif avec ténacité. » Ce qui nous renvoie à l’actualité récente. C’est une tradition marseillaise.
Les grandes périodes de mobilisation sociale à Marseille recoupent les grands moments nationaux mais, dans cette deuxième ville de France encore fortement industrielle, les mobilisations sont soit plus dures, soit en avance. Par exemple, au temps des grandes luttes du Front populaire, les dockers obtiennent dès janvier 1936, au terme d’une grève, des délégués syndicaux d’entreprise.
À la Libération, le phénomène des usines sous contrôle ouvrier prend à Marseille une importance plus grande qu’à Lyon ou à Toulouse. Au total, cette gestion ouvrière concerne 15 000 salariés dans quinze entreprises dont les principales entreprises de manutention portuaire, de réparation ferroviaire ainsi que l’Électricité de Marseille.

Ouvriers des Ateliers du Nord

Pour la plupart, des entreprises indispensables au fonctionnement du secteur des transports. Et cela malgré l’hostilité du patronat, les réticences du gouvernement et les mises en garde adressées au commissaire de la République, Raymond Aubrac. À la différence des autres villes, à Marseille ces comités se coordonnent, s’unissent dans une association et poursuivent l’expérience jusqu’en 1947. Rappelons leur mot d’ordre : « Remplacer la notion de profit par la notion de service. » Il est assez intéressant de le rappeler au regard des débats actuels sur la SNCM et la RTM.
Cette année-là (1947), les grandes grèves de novembre et décembre prennent une ampleur que l’on ne retrouve que partiellement ailleurs. Il y a par exemple une très forte journée de grève qui part d’un procès fait à des militants de la CGT qui se sont opposés à l’augmentation du prix du tramway. Pour l’anecdote, on retrouve déjà le tramway, ce qui n’est pas étonnant. À Marseille, ville très étendue, le thème des moyens de transport est décisif. Bref, revenons à cette journée. Prise d’assaut du palais de justice et de l’hôtel de ville, libération des militants arrêtés et affrontements, le soir, dans le quartier « chaud » de l’Opéra. Un jeune homme est tué. Dans la ville et le département, la grève générale est déclenchée, précédant un mouvement national. Ces grandes grèves de l’automne 1947 tiennent jusqu’à la fin. Le mot d’ordre de reprise du travail constitue alors une grande surprise : les responsables syndicaux locaux, surpris par la nouvelle en plein meeting, croient même au début à une rumeur propagée par la police.
Quelques années plus tard, pendant la guerre d’Indochine, la ville s’est encore une fois retrouvée en tête du mouvement, pour une raison simple : matériel et troupes partaient de Marseille. Les affrontements sont très vifs entre les forces de police et les dockers, devenus pour le PCF « les garde-côtes de la paix ». Sur les quais, la CGT subira une très rude répression dont elle mettra du temps à se relever.

Ce Midi rouge du XXe siècle puise-t-il dans l’histoire plus ancienne de la ville ?

- Robert Mencherini Oui. Avant même la création de la SFIO, l’influence du courant socialiste est importante. À la fin du XIXe siècle, on les appelle les collectivistes. C’est à Marseille qu’a eu lieu ce que Jules Guesde a appelé l’« immortel congrès » de constitution du parti ouvrier en 1879. Siméon Flaissières, un socialiste indépendant, est maire de Marseille de 1892 à 1902. On peut parler de fil rouge à travers les deux siècles.

Quels sont les fondements de cette tradition socialiste ?

- Robert Mencherini On peut dire que le mouvement socialiste marche sur deux jambes. Il s’appuie sur le républicanisme, dont les traditions sont très fortes dans le Midi, et sur le mouvement ouvrier naissant. À Marseille et dans sa région, les tensions deviennent rapidement importantes avec le syndicalisme révolutionnaire, dont les militants se méfient des responsables politiques. Voilà encore une donnée que l’on peut retrouver aujourd’hui.
Autre particularité qui marque le mouvement ouvrier : à Marseille, ce n’est pas l’industrie classique de la révolution industrielle, mais une industrie liée au port qui s’appuie sur des matières premières importées et des produits finis exportés par voie maritime. D’où les luttes essentielles des dockers et des marins.
Enfin, ajoutons que le syndicalisme représente, dans la première moitié du XXe siècle, un moyen d’intégration pour les populations d’immigrés économiques. À partir des années trente, l’immigration concerne les républicains espagnols, les antifascistes italiens, donc des gens plus radicalisés. Dans les deux cas, les tensions xénophobes sont fortes mais le mouvement ouvrier réussit à les dépasser.

Exercice périlleux pour un historien : comment expliquez-vous la permanence des luttes sociales à Marseille dans un monde économique bouleversé avec la perte, en quelques décennies, d’un emploi industriel sur cinq et la « délocalisation interne » vers Fos ?

- Robert Mencherini C’est un vrai problème. Au départ, on pouvait parler d’un mouvement ouvrier « pétillant » lié au port, où l’activité est elle-même intermittente, avec une intervention nécessaire dans la gestion d’un travail très pénible, comme chez les dockers. Or, depuis, la construction et la réparation navales ont pratiquement disparu et la manutention portuaire a connu de profondes transformations. Plus largement, la plupart des bastions traditionnels de l’industrie marseillaise et de la classe ouvrière ont subi les effets de la crise.

Manif Marseille CPE

Dès lors, pourquoi les luttes et les mobilisations sont-elles toujours plus importantes et plus dures à Marseille ?

- Robert Mencherini Il y a évidemment plusieurs interprétations. Les facteurs matériels que l’on évoque souvent sont importants (pauvreté, importance du secteur public). Mais ils ne sauraient par eux-mêmes expliquer la nature des luttes. L’aspect « subjectif » ne peut être négligé. J’aurais tendance à insister sur la permanence d’un type de militant syndical et la continuité d’un type de militantisme qui irrigue l’ensemble du syndicalisme (ouvrier ou enseignant), que l’on ne retrouve pas que dans le secteur productif et qui est beaucoup plus riche et complexe, dans ses objectifs et ses pratiques, que ce que l’on imagine parfois. Il a su souvent tenir les deux bouts - avec toutes les difficultés que cela suppose - entre des enjeux très élevés (défense du service public, internationalisme) et la défense au quotidien, parfois de manière très gestionnaire, des intérêts des salariés. On est loin des caricatures de la légende noire, qui ressurgit périodiquement, d’un syndicalisme marseillais « corporatiste » et « archaïque ».

CGT 13

(1) Auteur de Midi rouge, ombres
et lumières, Éditions Syllepse, 2004, et de la Libération et les Entreprises sous gestion ouvrière. Marseille, 1944-1948, Éditions L’Harmattan, 1994.
Entretien réalisé par C. D.


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