Syndicat CGT Finances Publiques
Section des Bouches du Rhône
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Caisse des Dépôts et Consignation : Ressources inexploitées !

Mise en ligne le 22 janvier 2007

Où il sera question de Besoins Publics, de Vent Libéral, d’Outil Financier et de Logement Social. Mais pas seulement.

Qualifiée tantôt de bras armé de l’État, tantôt de puissance occulte, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) constitue une institution économique et financière méconnue. Dans une logique antilibérale, elle pourrait être un point d’appui pour des politiques économiques alternatives.

Par Jean-Philippe Gasparotto Secrétaire du syndicat CGT de la CDC In Rouge 20 janvier 2007

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) touche, au travers de ses missions, la vie quotidienne d’un grand nombre de citoyens.
Elle centralise l’ensemble des fonds d’épargne réglementés (Livret A, Codevi, LEP).
Elle gère plus de 50 régimes de retraite (7 millions d’affiliés), notamment celui des fonctionnaires des collectivités locales et hospitalières.
En ce qui concerne le logement, la CDC finance 80 % des logements sociaux construits et elle reste le principal bailleur social, avec plus de 300 000 logements.
Elle gère la trésorerie de la Sécurité sociale (l’Acoss).

La Caisse nationale de prévoyance (CNP), filiale publique de la CDC, est la première société française d’assurance vie, avec plus de 13 millions d’assurés. En outre, la CDC a financé nombre d’infrastructures : ponts, voies ferrées, canaux, autoroutes, écoles, hôpitaux.
Sa filiale de transport contrôle de grands réseaux de transports en commun urbains et interurbains, en France et dans le monde.

Mais la CDC joue surtout un rôle majeur dans le financement de l’économie. Avec plus de 30 milliards d’investissements, elle est le premier opérateur sur le marché actions et le premier actionnaire sur les sociétés du CAC 40, ainsi que sur les opérations de capital investissement et de financement des PME. Son statut public fait d’elle un acteur majeur de « l’économie sociale », au capital de plus de 500 sociétés d’économie mixte. Enfin, d’Alstom à la SNCM, en passant par Danone et Suez, la CDC est régulièrement sollicitée pour porter secours aux entreprises françaises menacées d’OPA.

Mais, alors qu’elle vient de fêter son 190e anniversaire, la CDC traverse une grave crise de sens et d’identité.

Plombée par des opérations successives de démantèlement et de privatisation, la Caisse se trouve à la croisée des chemins. Compte tenu des mutations considérables qu’a connues le secteur financier public depuis vingt ans - la dernière en date étant la création de La Banque postale -, la Caisse des dépôts reste le dernier instrument financier public qui puisse appuyer la mise en œuvre de choix politiques dans le développement économique et l’emploi, le logement, la retraite, la protection sociale...

Besoins publics

C’est paradoxalement sous la Restauration, en 1816, qu’est créée la Caisse des dépôts et consignations.
La première urgence est alors de réhabiliter le crédit de l’État, totalement ruiné par les excès de l’Ancien Régime, ainsi que par les guerres napoléoniennes.
Dans cette conjoncture très particulière, ses fondements sont directement issus des réflexions des Lumières, notamment sa devise : la « foi publique ». La Caisse des dépôts est dotée d’un statut public spécial qui la place sous l’autorité du Parlement, et non sous la tutelle du pouvoir exécutif dont elle est « théoriquement » autonome.

Dès son origine, elle gère les fonds de retraite des fonctionnaires. La croissance de son bilan va rapidement s’accélérer avec l’arrivée de nouveaux fonds d’épargne et de dépôts placés « sous le sceau de la foi publique » : en 1837, ce sont les fonds collectés par les Caisses d’épargne, puis par La Poste (ancêtres du Livret A), puis les fonds de prévoyance et de secours mutuel (accident du travail, vieillesse), etc.

La Caisse des dépôts va accompagner, par la voie de prêts de longue durée et à faible taux, le financement d’investissements d’intérêt général : routes, canaux, voies ferrées, électrification, écoles publiques.
En 1894, la loi Siegfried autorise la CDC à financer la construction de logements. Les parlementaires réactionnaires interpréteront d’ailleurs cette timide ouverture comme l’instauration du collectivisme et la fin de la propriété privée !
Après la Deuxième Guerre mondiale, la Caisse des dépôts connaît son plus important essor. Elle devient un outil public financier au service du développement, intervenant dans différents domaines (logement, aménagement du territoire, prévoyance, coopération, tourisme social...). Son directeur de l’époque, François Bloch-Lainé, va jusqu’à la qualifier « d’entreprise socialiste dans une société capitaliste » !
Suite à l’appel de l’abbé Pierre, durant l’hiver 1954, François Bloch-Lainé crée la Société de construction immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC), qui prend en charge la construction et la gestion de dizaines de milliers de logements sociaux. Dans la même période, seront créés et financés les foyers Sonacotra, les foyers de jeunes travailleurs. Puis, la Caisse nationale de prévoyance (CNP), le Crédit local de France, etc.

L’idée prédominante était que la Caisse, appuyée sur son statut souple et autonome, pouvait agir directement là où le marché ne satisfaisait pas les besoins publics.

Vent libéral

Dans les années 1980, le vent ultralibéral sape progressivement cette construction. La déréglementation bancaire, dès 1984, génère la filialisation, puis la privatisation d’une bonne partie des activités de la Caisse et une mise en cause de son utilité publique. Ainsi, la CNP (épargne et assurances) est filialisée, puis transformée en société anonyme, et elle est introduite en Bourse en 1998. Toujours publique, avec la participation de la CDC et de La Poste, elle figure aujourd’hui sur la liste des sociétés privatisables.

Le Crédit local de France, chargé des prêts aux collectivités locales a été filialisé, privatisé, puis fusionné avec le Crédit communal de Belgique, pour devenir Dexia, une banque banalisée.
Il n’existe plus aujourd’hui d’outil public d’appui à l’investissement des collectivités territoriales. Les communes sont donc soumises aux exigences de rentabilité des marchés financiers. Symbolique : en 2003, quelques mois après le drame de la canicule, Médica France, filiale de la CDC spécialisée dans la gestion de résidences d’accueil pour personnes âgées, est vendue à un fonds de pension britannique.

Mais la mutation la plus scandaleuse touche le cœur financier de la Caisse.
En 2000, la CDC décide de filialiser sa direction des activités bancaires et financières, soit l’ensemble de ses instruments d’intervention sur les marchés. Dans le cadre d’un partenariat avec la Caisses d’épargne privatisées, la société Ixis est créée. En 2006, la Caisse d’épargne négocie, sans l’accord de la CDC, la fusion d’Ixis avec la Banque d’investissement des banques populaires (Natexis) afin de créer Natixis, qui vient d’être introduit en Bourse.
En cinq ans, la Caisse des dépôts s’est vue dépossédée de la totalité de ses outils d’intervention financiers !

Au-delà de ces mouvements de privatisation, la CDC investit 30 milliards, en participations minoritaires, dans les sociétés du CAC 40. Cela ne sert ni l’emploi, ni le développement industriel, ni même la protection de ces entreprises contre d’éventuelles OPA. De la même façon, la CDC devient le principal opérateur français dans le domaine du capital investissement, et notamment dans celui de l’investissement par leverage buy out (LBO), dont on sait qu’il aboutit à l’appauvrissement des entreprises et à des exigences de rendement prohibitives ! Que fait la Caisse des dépôts dans le rachat par LBO des restaurants Quick, de la société Euro-farad ou de Cegelec ! Les sommes englouties dans ces domaines sont bien supérieures aux sommes consacrées au financement des PME et très petites entreprises créatrices d’emplois.

Alors que son nouveau directeur général devrait être nommé dans les jours prochains par le président de la République, la question de la pérennité et de l’utilité publique et sociale de la Caisse des dépôts est donc désormais posée.

Elle doit donner lieu à des réponses précises aux prochaines échéances électorales. Est-il possible de détruire ce dernier instrument public économique et financier ?
Au contraire, il faut faire du développement de cet outil, le socle d’un pôle financier public au service des besoins économiques et sociaux, et peut être, plus largement, de l’Europe et du bassin méditerranéen. Avec La Poste, la Banque de France, le Crédit foncier, la CNP...

Outil financier potentiel

Plusieurs pistes peuvent être évoquées afin de renforcer et de préciser le statut et l’utilité publique de la CDC.

- D’abord, il faudrait démocratiser le pilotage de l’institution. Placée théoriquement sous le contrôle du Parlement, elle est en fait gouvernée par un directeur général nommé par le président de la République. Pourquoi ne pas envisager une élection ?
- De même, il est impératif que sa commission de surveillance s’ouvre davantage aux parlementaires et comprenne des représentants d’élus locaux, d’associations (par exemple du droit au logement) et des syndicalistes.
- Ensuite, il est nécessaire de repréciser les missions d’intérêt général de la Caisse. Notamment, consacrer l’emploi de ses fonds propres aux missions d’intérêt public : logement social, épargne populaire, aménagement du territoire...
- Enfin, il faudrait participer au capital d’entreprises d’intérêt public. Par exemple, en favorisant la constitution d’un pôle public financier, en lien avec La Poste, d’un pôle public de l’énergie, d’un grand service public du logement, d’un secteur public de la prévoyance et de l’accompagnement des personnes âgées et dépendantes.

Jean-Philippe Gasparotto Secrétaire du syndicat CGT de la CDC, paru dans Rouge samedi 20 janvier 2007

Financer le logement social

Il est temps de tordre le cou à quelques idées reçues en matière de logement social et de relever notamment que la politique de logement social n’a jamais dépendu, pour son financement, du recours au budget de l’État.
Pour être crédible, l’objectif avancé de 60 000 logements sociaux nouveaux dans les cinq ans et porté par la création d’un service public du logement doit reposer sur un dispositif de financement transparent.

À partir du croisement des données issues du ministère de l’Équipement, de la CDC (principal prêteur) et de l’Insee, on peut en déduire un certain nombre d’indicateurs de coûts.
Le coût moyen de construction d’un logement social se situe entre 55 000 et 100 000 euros.
Quant à la réhabilitation, son coût moyen est évalué à 5 838 euros par logement.
Le coût moyen annuel de maintenance/réhabilitation est situé aux environs de 700 euros par logement. Ce chiffre est à rapprocher de celui des démolitions oscillant entre 20 000 et 30 000 euros...
Ainsi, la construction de 600 000 logements nécessiterait la mobilisation d’une enveloppe de prêts de 36 milliards d’euros sur cinq ans.

La très grande majorité du parc actuel (4,2 millions de logements sociaux) n’a pas été financée par le budget de l’État, mais à 80 % à partir de prêts de la Caisse des dépôts, sur la base des ressources d’épargne populaire (le Livret A), qu’elle centralise et sécurise depuis un 150 ans.

Seules la masse de cette ressource considérable (195 milliards d’euros pour la totalité de l’épargne centralisée à la CDC) et sa stabilité, qui repose sur le caractère public de l’établissement, permettent de consentir des prêts aux logements sociaux à des taux intéressants sur du très long terme (entre 30 et 50 ans), sans pratiquer une sélection des projets en fonction de leur localisation ou de leur perspective de rendement.
Or, il se trouve qu’aujourd’hui cette ressource n’est utilisée que pour moins de la moitié de son encours en prêt au logement social.
Le Livret A et la Caisse des dépôts, si leur pérennité était assurée, permettraient aisément de financer un programme de 600 000 logements sociaux supplémentaires. Il pourrait être accompagné d’une stabilisation des autres sources de financement : subventions (État ou collectivités locales), 1 % patronal, autofinancement.

Plusieurs facteurs menacent gravement la pérennité de la ressource du livret A :
- le choix libéral du gouvernement, qui vise à défavoriser ce type d’épargne en lui préférant l’épargne directement investie sur les marchés, au prétexte malhonnête de mieux contrôler le capital des entreprises françaises menacées ;

- les procédures engagées par les banques privées réclamant à Bruxelles la fin du monopole de la collecte du Livret A par La Poste et les Caisses d’épargne ;

- la baisse des revenus des ménages - le livret A représentait 16 % du patrimoine financier des ménages en 1981, contre 3 % aujourd’hui.

Face à ces menaces, il est donc essentiel d’œuvrer à la stabilité de cette ressource et à son affectation prioritaire au logement social.

J.-P. G.
Paru dans Rouge samedi 20 janvier 2007


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