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Le prix d’un enfant par Thomas Piketty, Libération du 7 mars 2005.

Où le cas concret d’un ex-Ministre des Finances dévoile une fois de plus les injustices criantes de notre système fiscal et social.

Thomas Piketty est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess).

Au-delà du scandale, l’affaire du duplex de 600 mètres carrés à 14 000 euros par mois (168 000 euros par an !) des Gaymard a eu au moins le mérite de poser de façon concrète une des plus vieilles questions de la politique familiale. Chaque enfant vaut-il la même somme, dans le sens où la valeur des services et prestations alloués par la puissance publique doit être la même pour tous les enfants, quel que soit le revenu des parents ? Ou bien l’Etat doit-il chercher à maintenir le niveau de vie des parents aisés choisissant d’avoir une famille nombreuse au même niveau que les couples sans enfant de même revenu, auquel cas le montant des compensations versées par l’Etat pour chaque enfant doit nécessairement croître avec le revenu des parents ? Sans surprise, ce débat entre des logiques de solidarité verticale et d’équité horizontale a suscité de violents affrontements politiques depuis plus d’un siècle.

L’ex-ministre des Finances se situe sans détour dans la seconde logique : les Gaymard ont jugé que leurs 240 mètres carrés du boulevard Saint-Michel ne leur permettaient plus « d’avoir une vie familiale normale et de vivre avec [nos] enfants » (sous-entendu : dans des conditions de confort conformes à leur nouveau statut et revenu), et puisqu’ils ne sont pas assez « grands bourgeois » pour posséder 600 mètres carrés dans le VIIIe, il leur a semblé justifié que le contribuable les compense pour la perte de standing que leurs huit enfants risquaient d’occasionner. En l’occurrence, le petit coup de pouce du contribuable se montait tout de même à près de 2000 euros par mois et par enfant. Pour mettre ces chiffres en perspective, il est utile de les comparer à ceux de la politique familiale conventionnelle.

La première logique est notamment celle des allocations familiales. Actuellement, tous les ménages touchent 0 euro par mois pour le premier enfant, environ 115 euros par mois pour deux enfants, 260 euros par mois pour trois enfants, puis 145 euros par enfant supplémentaire. Avec huit enfants, les Gaymard touchent donc 985 euros par mois, soit environ 12 000 euros par an, le même montant que les Groseille. Il s’agit d’un complément de revenu substantiel pour ces derniers, mais pas pour les Gaymard (le salaire de l’ex-ministre était de 200 000 euros par an, compte tenu de la part non imposable, et son épouse doit gagner au moins autant, sans compter les revenus annexes).

La seconde logique est celle du quotient familial (QF), système unique au monde mis en place en France en 1945 pour conjurer le spectre de la défaite et de la dénatalité des familles aisées. Le principe est simple. Chaque ménage dispose d’un certain nombre de parts : 2 pour un couple marié sans enfant, 2,5 avec un enfant, 3 avec deux enfants, 4 avec trois enfants, puis une part supplémentaire par enfant. Jusqu’en 1953, les couples redescendaient de 2 à 1,5 part s’ils n’avaient toujours pas d’enfant au bout de trois ans de mariage, preuve de l’imagination du législateur fiscal en matière nataliste ! On divise ensuite le revenu par le nombre de parts, on calcule l’impôt dû, puis on remultiplie par le nombre de parts. La division par le nombre de parts permet d’échapper aux tranches les plus élevées de l’impôt, et ce d’autant plus que le revenu est important.

Concrètement, avec huit enfants (soit 9 parts), les Groseille sont non imposables, et l’étaient sans doute déjà avec 2 parts, donc le QF leur rapporte zéro euro : ils doivent se contenter des allocations familiales. Avec un revenu annuel de 100 000 euros, un ménage de huit enfants bénéficie d’une réduction d’impôt d’environ 20 000 euros, ce qui est toujours bon à prendre. Quant aux Gaymard, avec un revenu annuel de l’ordre de 400 000 euros (pour fixer les idées), l’application stricte du QF leur rapporterait près de 70 000 euros, et plus de 80 000 euros si l’on ajoute les allocations. On est encore loin des 168 000 euros du duplex, mais on voit que les ordres de grandeur ne sont pas incomparables. L’appartement du ministre n’était finalement qu’un super QF.

Jugeant cette manne excessive, les socialistes ont décidé en 1981 que la réduction d’impôt serait plafonnée (mesure plus que compensée en 1986 par l’attribution de parts complètes au-delà du troisième enfant). La réduction ne peut dépasser actuellement 4 200 euros par part, si bien que les huit enfants des Gaymard rapportent seulement 30 000 euros (et non 70 000). La règle fixée par Raffarin pour sortir de la crise (chaque ministre a droit en plus de son salaire à 80 mètres carrés, plus 20 par enfant, soit 240 mètres carrés pour huit enfants) revient approximativement à déplafonner les effets du QF pour les seuls ménages de ministres. En instituant dans la hâte ce nouveau droit au logement familial des ministres (prévu par aucun texte), après avoir en 2002 doublé leurs salaires de façon peu transparente, Raffarin concourt une fois de plus à placer le gouvernement en dehors du droit commun.