Universitaire américain de renom, Howard Zinn nous offre, avec son ouvrage quasi-encyclopédique (près de 800 pages pour la version la plus récente) "Une Histoire Populaire des Etats-Unis", une thèse à contre courant des versions officielles de l’Histoire américaine, versions qui accréditent généralement l’idée d’un pays fondé sur les valeurs de la démocratie, de la justice, d’égalité raciale ou de réussite économique.
Son histoire est celle des "sans voix" de l’Amérique, celle des classes populaires (chômeurs, ouvriers ou agriculteurs modestes), des minorités ethniques (indiens, noirs, hispaniques…), des femmes, des syndicalistes, des artistes engagés…

Débutant avec l’arrivée de Christophe Colomb, et se prolongeant dans la dernière mouture (Howard Zinn remet périodiquement à jour son ouvrage avec les derniers évènements marquants) jusqu’au lendemain des attentats du 11 septembre, l’auteur met en exergue le décalage existant entre le fameux "rêve américain", et un système fondé, dès le départ sur l’idée de toute puissance de la propriété privée, au sein duquel tous les pouvoirs (économique, politique, médiatique, militaire et religieux) concourent à la confiscation des richesses naturelles (du pays dans un premier temps, puis à l’extérieur par la suite) et la défense d’intérêts privés.
S’il aborde les périodes considérées comme "glorieuses" (la "découverte", la conquête de l’Ouest, les guerres…) c’est pour en faire ressortir les pages les moins reluisantes : élimination et expropriations des indiens, esclavage et ségrégation, massacres de populations civiles pendant les guerres mondiales ou les conflits locaux, renversement de gouvernements démocratiquement élus et soutien de régimes corrompus…en montrant que ces aspects peu glorieux sont moins le fruit d’une erreur ou d’un dérapage, que la conséquence ultime de la logique d’un système.

 Il en profite également pour écorner quelque peu l’image, souvent idéalisée, des héros nationaux mythiques (pères fondateurs, Lincoln, Roosevelt, Kennedy…). Ainsi, apprend t’on par exemple que pour Abraham Lincoln, l’abolition de l’esclavage ne constituait nullement un préalable indiscutable et irréversible fondé sur une philosophie personnelle, mais seulement une option politique parmi d’autres, susceptible de conforter sa position du moment et de donner au Nord une chance supplémentaire de vaincre le Sud pendant la guerre de sécession.
Mais Howard Zinn ne se contente pas de balayer que les périodes épiques : il s’attarde également sur les périodes moins connues : la fin du XIXème et le début du XXème siècle, l’entre deux guerres, l’après 2ème guerre mondiale, ou les luttes pour les droits sociaux et économiques (protection sociale des travailleurs, aide aux chômeurs, droits syndicaux…), mais aussi fondamentaux (émancipation, liberté des femmes…), ont été, bien que peu "médiatisées" farouches et âpres.

Howard Zinn nous montre que ces droits ( ou parfois le simple respect de droits pourtant proclamés ) n’ont jamais été généreusement octroyés, mais chèrement conquis par des organisations ou des citoyens vigilants, et déterminés. Au travers d’exemples édifiants, l’auteur remet le peuple américain au centre de son Histoire, et nous fait découvrir ces héros du quotidien, menant quelquefois leur combat tous seul, qui par leur courage, leur pugnacité, leur exigence de justice, leur dignité (mot galvaudé ces temps-ci, mais justifié dans les cas présentés par l’auteur), et parfois au péril de leur vie, ont su faire reconnaître la justesse de leur combat, et faire avancer ou simplement respecter leurs droits, face à un système qui les ignorait, les baîllonnait, et qui n’hésitait pas à les réprimer durement.

 Howard Zinn nous montre qu’il existe bien une gauche américaine, certes diverse et en continuelle évolution, mais combattive et souvent originale dans ses modalités d’action.
Incroyablement documentée, bourrée d’anecdotes incroyables, toujours passionnante, cette œuvre écrite par une sorte de Michael Moore de l’Université Américaine, vous permettra d’appréhender de façon moins manichéenne l’Histoire de ce grand pays et de ces américains de l’ombre qui nous donnent au travers de leurs luttes une véritable leçon de citoyenneté : paradoxalement, ce livre constitue probablement le meilleur antidote à tout "anti-américanisme primaire".