Syndicat Finances Publiques CGT
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Interview de Bernard Thibault pour Libération du 5 septembre 2006

Mise en ligne le 5 septembre 2006

Jeudi s’ouvre à l’Assemblée nationale le débat sur la fusion de Gaz de France et Suez. Que peut faire la Cgt alors que le gouvernement semble prêt à passer en force ?

- Nous restons résolument opposés à cette fusion. Ses motivations officielles sont incohérentes. Tantôt il faut sauver Suez et mettre cette entreprise à l’abri d’une OPA, tantôt c’est pour donner à Gaz de France les moyens financiers de son développement. Et pour finir, les présidents de ces deux entreprises nous disent que l’opération est depuis longtemps dans les tuyaux. La Cgt s’oppose à cette décision d’une portée considérable pour le pays, pour le consommateur. L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres. La priorité devrait être, en France comme en Europe, d’anticiper sur une pénurie annoncée, qu’elle soit liée à l’état des réserves ou à la situation internationale. Là, on prend une décision uniquement inspirée par les dogmes politiques. Les répercussions seront immédiates pour le consommateur, car les différents opérateurs de ce marché ne manqueront pas de faire monter les prix, le gaz étant une matière qui va se faire de plus en plus rare et être l’objet de plus en plus de tensions. On tourne la page sur 60 ans de capacités, de compétences et de performances générées par deux entreprises, EDF et GDF, pour s’en remettre au seul marché. Pourtant, la France serait en bonne position pour exiger une autre approche de la politique énergétique, au niveau européen.

Vous souhaitez un grand service public européen de l’énergie ?

- Nous avons proposé la création d’une agence européenne de l’énergie, dans laquelle le secteur public devrait avoir une bonne place. Pour nous, l’accès à l’énergie fait partie des besoins vitaux. C’est comparable à l’accès au logement ou à l’eau. Sans eau, sans logement on ne peut pas vivre décemment. Sans énergie non plus. Là , on va gaspiller des milliards dans une guerre de positions entre opérateurs alors que l’on ferait mieux de les consacrer à préparer l’avenir, en investissant dans la recherche, dans les énergies nouvelles. EDF va devoir trouver un autre partenariat, avec un gazier privé, alors qu’il existe depuis des décennies une synergie historique entre EDF e GDF.

Comment la Cgt va-t-elle s’opposer à la fusion Suez-GDF ?

- Jeudi, nous consulterons le personnel de GDF. Puis, le 12 septembre, nous organisons une journée de mobilisation, à laquelle participera l’ensemble de nos organisations, tous secteurs professionnels confondus. Le débat n’est pas clos. Les revirements de l’UMP sont évidemment liés aux échéances présidentielles. Aujourd’hui, c’est la discipline de parti qui s’impose. Mais on n’est pas au bout du processus, loin de là.

La Cfdt est favorable à cette fusion. N’est-ce pas dommage d’afficher les divisions syndicales après le succès de la mobilisation unitaire contre le CPE ?

- Le fait que nous ayons agi ensemble et gagné contre le CPE n’a pas effacé toutes les divergences entre syndicats. Sur le cas précis, quoique absente de la mobilisation, la Cfdt a dit être hostile à la privatisation de GDF. Nous continuerons pour cette rentrée de privilégier des mobilisations unitaires à chaque fois que cela sera possible. Je pense au CNE qui doit disparaître.

Et sur le pouvoir d’achat ? Les annonces de Dominique de Villepin la semaine dernière vous semblent-elles à la hauteur des attentes ?

- Si l’on veut défendre le pouvoir d’achat, il n’y a pas de mystère, il faut augmenter les salaires. Le smic à 1500 euros dès maintenant que nous revendiquons, cela n’a rien d’exorbitant quand on voit l’augmentation du coût de la vie pour les ménages, le gouvernement n’a toujours pas pris la bonne mesure des revendications. Prenez l’allocation de rentrée pour les étudiants. Ils réclament un revenu pour la durée de leurs études. On leur annonce 300 euros le jour ou ils quittent le domicile de leurs parents !

Le chèque transport ? Vous êtes pour ?

- Le Premier Ministre soigne surtout sa communication quand il annonce qu’il y aura au 1er janvier une mesure pour atténuer le coût du transport pour les salariés. Seul bémol : on apprend que la mesure serait facultative. Comme il y a peu de chances que les patrons se déclarent généreux, 90 % des salariés n’auraient rien du tout. On ne peut pas en rester là.

Et la revalorisation de la prime pour l’emploi ? Une bonne chose ?

- C’est un geste en faveur de ceux, de plus en plus nombreux, qui sont trop peu payés. Ils ne pourront naturellement qu’apprécier la mesure. Mais il est anormal que l’argent public vienne se substituer à l’insuffisance des salaires. Nous allons mettre en avant l’exigence de négociation salariale dans toutes les entreprises. Une sur deux ne respecte pas le principe de négociation annuelle obligatoire.

Dans les bonnes nouvelles de rentrée, il y a la baisse du chômage : il vient de franchir la barre des 9%...

- Il faut se méfier des chiffres présentés comme symboliques. Plusieurs statistiques ne reflètent plus la réalité sociale. La vérité c’est qu’il y a près de 6 millions de salariés qui n’ont pas d’emploi, ou un emploi qui ne leur permet de vivre décemment. 80% des salariés à temps partiel ne le font pas par choix mais faute de mieux. L’auto-satisfaction du gouvernement est déplacée.

Le gouvernement a lancé des consultations sur le dialogue social. Sur quoi peuvent-elles déboucher ?

- C’est la conséquence de la mobilisation victorieuse contre le CPE : le gouvernement a mesuré qu’ignorer les syndicats pouvait avoir des conséquences catastrophiques. Alors il nous consulte sur le dialogue social au moment même où le Premier ministre annonce des mesures comme le chèque transport et la prime pour l’emploi, sur lesquelles il ne nous a jamais consulté. Comme quoi les mauvaises habitudes ne se perdent pas facilement ! Cela dit, la Cgt a des propositions pour favoriser la démocratie sociale. Par exemple, en instaurant le principe que seuls les accords signés par des syndicats représentants une majorité des salariés soient appliqués. Le gouvernement n’en veut pas.

Accepteriez-vous que l’on modifie les règles de la représentativité syndicale, pour que l’Unsa par exemple rejoigne les cinq confédérations ?

- Il n’y a aucune raison que la représentativité syndicale continue de reposer sur un décret qui date de 1966. Ca n’a aucun sens. L’essentiel est que le paysage syndical repose sur l’opinion des salariés. Ils doivent tous pouvoir participer à des élections professionnelles. Aujourd’hui, un salarié sur deux est privé de ce droit, ce n’est pas normal. Je trouve scandaleux que le président de l’UMP réclame la règle majoritaire pour s’attaquer au droit de grève qui est un droit constitutionnel, c’est une liberté individuelle qui s’exerce dans un cadre collectif. Ce que revendique le président de l’UMP est contraire à la constitution française pour obtenir un soutien du Medef qu’il a d’ailleurs obtenu.

Quels sont pour la Cgt les enjeux de la prochaine présidentielle ?

- A la différence des partis, ce rendez-vous n’est pas notre priorité. Nous voulons des réponses concrètes et rapides aux revendications d’aujourd’hui. Nous participerons au débat public lié à cette échéance le moment venu. Mais notre rôle de syndicat n’est pas de participer à l’élaboration d’un programme, encore moins d’appeler à voter pour tel ou tel. Nous rencontrons les formations politiques qui le souhaitent, c’est le cas récemment du PS, de l’UDF ou des Verts.

Propos recueillis par Judith Rueff et François Wenz-Dumas