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C’est à nous

C’est à nous !

Vu à la télé. Des couples contemplent, émerveillés, des installations de production d’électricité. Ils ont une tendance manifeste à préférer les éoliennes et les barrages, c’est-à-dire les énergies renouvelables (8,1 % de la production d’électricité en France, c’est écrit sur vos factures). On devine à peine la centrale nucléaire au milieu des fleurs. Ils se félicitent d’avoir bien choisi ce qui va devenir leur bien privé, via l’actionnariat d’EDF. Le message publicitaire est clair : avant, c’était à l’État, donc à personne. Maintenant, c’est à vous.

L’idéologie de la privatisation des biens publics s’exprime ici ouvertement, non sans habileté.

Et pourtant, qu’est-ce que l’introduction en bourse d’EDF, après d’autres, sinon la vente à quelques-uns, avec d’énormes inégalités entre les « petits porteurs » et les « gros » du patrimoine de tous. Y compris et surtout de ceux qui n’ont pratiquement pas d’autres patrimoines que ceux que la collectivité met à leur disposition comme biens publics, qu’ils soient marchands (l’énergie, La Poste) ou non marchands (l’école, les services sociaux, la santé publique pour ce qui en reste...).

Ce que l’on nous présente comme une réappropriation est en fait le début d’une expropriation de masse dans un domaine où la propriété collective avait été choisie, avec de bonnes raisons.

Objection, votre honneur ! Avons-nous encore aujourd’hui de "bonnes raisons" de défendre le statut public de cette entreprise ? Oui, plus que jamais, mais ce ne sont pas exactement les mêmes qu’à la Libération.

Le principal argument visant à « vendre à l’opinion » cette privatisation (partielle pour l’instant) est le suivant : EDF aurait besoin de fonds importants pour se développer, la privatisation en serait le moyen.

C’est ridicule. Cette entreprise dégage d’énormes bénéfices (cash-flow de 7 à 9 milliards d’euros par an). Si elle est actuellement endettée (19 milliards d’euros, en nette diminution depuis 2002, beaucoup moins que France Télécom qui en est encore à 50 milliards), c’est d’abord parce qu’elle s’est engagée, en prévision de sa privatisation, dans des projets d’acquisitions à l’étranger dont beaucoup sont des fiascos, au lieu d’investir dans les énergies renouvelables, les réseaux de distribution, et la qualité de service, qui s’est dégradée ces dernières années.

Il est vrai qu’EDF aura besoin à l’avenir d’investir des sommes considérables, mais d’un montant très incertain, pour faire face, entre 2020 et 2050, au démantèlement des centrales nucléaires en fin de vie et au traitement des déchets, ainsi qu’à d’autres incertitudes fortes sur l’avenir du nucléaire. Mais justement : il est fort probable que le secteur privé se refusera à prendre en charge ces risques qu’EDF a très peu "provisionnés".

Il va donc exiger de l’État qu’il assume ces risques, selon une logique classique de privatisation des bénéfices et de socialisation des pertes et des risques majeurs.

La Cour des Comptes (dans un rapport de janvier 2005) et l’Autorité des marchés financiers (fin septembre) ont exprimé clairement cette préoccupation.

Curieusement, on n’a pas entendu l’argument classique en faveur de la libéralisation des services publics : cela ferait baisser les prix, au grand bénéfice du "consommateur".

On comprend pourquoi. Vu les tarifs actuels d’EDF, nettement inférieurs à ceux de ses principaux concurrents actuels et potentiels, il faudrait les augmenter fortement pour faire fonctionner la "concurrence libre et non faussée" dans ce secteur ! On n’en parle donc pas pour l’instant. Mais cela viendra, et c’est ce qui s’est produit presque partout ailleurs (en préservant toutefois les intérêts des gros clients industriels).

GDF vient de montrer la voie, avec une hausse brutale de ses tarifs qui n’a pas d’autre raison que les exigences des actionnaires.

Que l’on soit pour une sortie du nucléaire ou que l’on pense qu’il sera difficile de s’en passer dans un avenir prévisible, on peut s’accorder sur un point. Remettre entre les mains d’intérêts privés de plus en plus transnationaux les grandes questions que sont la gestion des risques nucléaires, la maîtrise de l’énergie dans un monde où le pétrole sera de plus en plus rare et cher, et la lutte contre le réchauffement climatique, ne peut que réduire les capacités d’intervention des citoyens sur des choix qui engagent lourdement notre avenir.

Même si la gestion de cette entreprise a parfois été opaque, sa privatisation nous exproprie. Si un referendum, précédé d’un débat sérieux, était organisé en France sur ce point, une nette majorité se prononcerait contre l’ouverture du capital.

EDF, c’est à nous !

Jean Gadrey, 9 novembre 2005

Article publié le 21 novembre 2005.


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