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La mort des 35 heures

Invité de RTL vendredi, le secrétaire général de la CGT a déploré "la mort des 35 heures" avec les mesures de Jean-Pierre Raffarin sur le temps de travail et a appelé d’"urgence" à une mobilisation intersyndicale.

Pour Bernard Thibault, l’assurance du Premier ministre que la durée légale resterait à 35 heures "est de la publicité mensongère". "On revient en arrière".

Jean-Michel APHATIE : Bonjour Bernard Thibault. Jean-Pierre Raffarin a présenté hier son contrat 2005. Il propose un nouvel aménagement des 35 heures en élargissant le recours aux heures supplémentaires et en permettant la conversion de certains jours de RTT en rémunération, jours de retraite ou de formation. Cet aménagement, a dit le Premier ministre, passe par la négociation entre les partenaires sociaux. Et pour cela il a parlé "d’accord sur le temps", ou "pour le temps choisi". "Un accord pour le temps choisi", la formule vous convient-elle Bernard Thibault ?

Bernard THIBAULT : Non non. Et je crois que beaucoup de salariés - et il faudra y revenir dans les prochains jours - savent bien que le temps de travail n’est pas un temps qu’ils choisissent. Si c’était le cas, je ne comprendrais pas pourquoi il y a plusieurs millions de salariés dans notre pays qui sont confinés à du temps partiel, contraints à des petits boulots. Il y a des millions de salariés qui aimeraient bien pouvoir travailler davantage, pour ne pas parler des chômeurs, et gagner leur vie, tout simplement leur vie.

J M A : Mais ceux qui ont un "Contrat à Durée Indéterminée", dit le Premier ministre, pourront négocier par l’intermédiaire de leur syndicat, dans les entreprises ou dans les branches, les modalités de leur temps de travail. On parle de cela ce matin Bernard Thibault.

B T : Non, déjà le gouvernement n’a pas montré - c’est le moins qu’on puisse dire - une volonté de négociation. Encore un exemple où on parle beaucoup de dialogue social et où nous sommes, tous les syndicats, mis au pied du mur des annonces faites par le Premier ministre à une conférence de presse. Nous avons été écoutés les uns après les autres, chacun a dit qu’il ne souhaitait pas une révision en profondeur de la législation sur le temps de travail. Ca n’est pas simplement un assouplissement dont il est question aujourd’hui. C’est la mort des 35 heures ! Il faut que les choses soient claires ! Il n’y aura plus de 35 heures effectives dans notre pays ! Déjà, tous les salariés n’y sont pas. Mais là, on revient en arrière !

J M A : Même si le Premier ministre a dit hier que la durée légale hebdomadaire c’était, ça restait, ça demeurait les 35 heures.

B T :Oui mais ça c’est de la publicité mensongère !

J M A :Carrément !

B T :Quand on regarde les modalités concrètes qui sont mises en avant, que le gouvernement se propose de mettre par la voie législative. On parle de dialogue social, et ce qu’on s’empresse de faire - comme le Médef le souhaitait - maintenant c’est d’utiliser le Parlement pour satisfaire aux revendications du Médef. La négociation dans tout ça, on l’oublie... sauf à la renvoyer au niveau le plus décentralisé, au niveau de l’entreprise, c’est-à-dire là où la présence syndicale est la moins importante. Lorsque le gouvernement décide par exemple que la rémunération des heures supplémentaires pour les salariés qui travaillent dans des petites entreprises - moins de 20 salariés - sera de 10% de majoration : déjà on a l’illustration qu’on pourra travailler plus, sans gagner plus. Jusqu’à présent, les heures supplémentaires étaient majorées de 25%. Eh bien pour ceux des petites entreprises dans lesquelles il n’y a pas de syndicat, il n’y aura pas de négociations. Ils travailleront plus, en gagnant moins.

J M A : Jusqu’à présent, dans les entreprises de moins de 20 salariés, c’était 10% de majoration. Donc ça demeure.

B T : Oui, depuis que le gouvernement a diminué la majoration des heures supplémentaires...

J M A :... ça ne change pas avec le discours du Premier ministre.

B T : Auparavant, dans les petites entreprises, les heures supplémentaires étaient majorées de 25% comme dans les autres.

J M A : Dans les secteurs où vous êtes représenté Bernard Thibault, dans les branches et dans les entreprises où vous êtes représenté, est-ce que vous donnez la consigne donc de ne pas négocier l’aménagement souhaité par le Premier ministre ?

B T : Ah moi je crois que ce matin, la première des démarches à avoir au plan syndical - parce qu’il faut aussi convenir que si ce gouvernement, très impopulaire sur sa politique économique et sociale, se croit encore en capacité d’imposer ce type de réforme, malgré l’opposition de toutes les organisations syndicales. C’est aussi qu’il a remarqué que les syndicats avaient un peu les pieds dans le ciment en ce moment, étaient hésitants à défendre les intérêts des salariés avec toutes les capacités qu’ils ont à leur disposition. Donc je crois pour ma part que la première chose à faire, c’est de se concerter rapidement entre organisations syndicales, pour envisager ensemble la manière dont nous pouvons faire face à ce nouveau défi gouvernemental, qui nous est imposé en quelque sorte, avec un calendrier si je comprends bien, encore une fois très réduit, puisqu’on parle du mois de janvier pour une initiative parlementaire. Donc je crois que l’urgence est déjà à la concertation intersyndicale pour faire en sorte d’empêcher cette perspective de remise en cause des droits des salariés, telle que le gouvernement l’envisage.

J M A : Mais, vérifions que nous parlons bien de la même chose. Modification législative pour le gouvernement mais les choses n’entrent en vigueur que s’il y a un accord entre les syndicats et les responsables d’entreprises. Donc s’il n’y a pas d’accord, rien ne change. Nous sommes d’accord ou pas ? S’il n’y a pas d’accord dans une grande entreprise par exemple...

B T :Attendez... on parle de double accord d’entreprise. Je fais remarquer que dans la majorité des cas, malheureusement, il n’y a pas de présence syndicale. Il n’y a pas de présence syndicale, c’est ce qui nous amène d’ailleurs, nous et d’autres, à mener campagne pour un renforcement de la présence syndicale dans les entreprises - et je le dis très clairement aux salariés qui aujourd’hui ne disposent pas d’organisation syndicale dans leur entreprise pour défendre leurs intérêts - qu’ils risquent de souffrir encore plus que les autres. Et donc l’urgence est à s’organiser syndicalement. En renvoyant aux négociations, comme le souhaite le Médef, dans chacune des entreprises, il sait qu’il renvoie à un niveau où il n’y a pas d’organisation collective des salariés. Donc le patronat est en position de force. Plus, c’est nouveau dans ce qu’annonce le Premier ministre, un accord salarié comme salarié, comme si chaque salarié allait avoir la possibilité, seul face à son employeur, de définir quel pourrait être son rythme de travail, en laissant entendre à ce titre-là que ce serait du temps choisi. Nous savons bien que le rapport étant ce qu’il est dans l’entreprise, c’est l’employeur qui dicte les horaires de travail, en fonction des besoins, de la production, en fonction de son carnet de commandes, y compris s’agissant des mécanismes qui régissent les "comptes épargne-temps". Je suis allé récemment dans une usine d’automobiles, eh bien c’est le carnet de commandes qui décide des jours de travail, et de non-travail. Les salariés n’ont pas le choix de ce point de vue là.

J M A : Le Premier ministre légitime cette réforme en disant : certains salariés souhaitent travailler plus, pour gagner plus. Peut-être les syndiqués de la CGT le souhaitent-ils aussi : travailler plus, gagner plus...

B T : Mais bien sûr... notamment ceux qui sont confinés à du travail à temps partiel comme je vous l’indiquais...

J M A :... non, je parlais des "Contrats à Durée Indéterminée". Certains souhaitent peut-être faire des heures supplémentaires, obtenir des assouplissements pour gagner plus ! Ca existe sans doute.

B T : Oui, là où il ne faut pas raconter d’histoires c’est sur le fait que le choix personnel serait ce qui guiderait la législation sur le temps de travail. C’est en fonction des besoins, ou des choix de l’employeur que les horaires de travail sont organisés. Déjà aujourd’hui dans un certain nombre de secteurs, les salariés ne peuvent pas prendre leurs jours de congés lorsqu’ils le souhaiteraient, lorsqu’ils ont des besoins personnels. Et ce qu’on nous propose là, c’est de mettre un terme à la durée hebdomadaire du temps de travail, pour venir sur des comptabilités sur toute une carrière. Lorsqu’on parle d’épargner du temps en vue de sa fin de carrière, pour éventuellement envisager de partir en retraite plus tôt, on voit bien qu’on est sur un autre mécanisme de décompte du temps de travail. Sans pour autant gagner plus. Et je voudrais ajouter que ce n’est absolument pas un facteur qui va créer de l’emploi. Absolument pas.

J M A : De quoi s’agit-il ce matin Bernard Thibault ? D’une colère supplémentaire ? D’un syndicaliste qui défend ses salariés ? Ou vous jugez qu’il y a une rupture aujourd’hui avec le gouvernement ?

B T : Oh mais la rupture elle est déjà consommée sur de nombreux sujets !

J M A : Et depuis longtemps. Donc rien ne change finalement. Vous n’êtes pas d’accord, c’est tout.

B T : Je ne suis pas d’accord, mais je ne suis pas non plus résigné à ce que les organisations syndicales d’un pays comme la France accumulent les mauvais coups sans réagir. Nous avons des capacités si nous le décidons. Il y a unanimité des critiques syndicales qui ont été exprimées hier. Chacun avec ses mots a dit à peu près la même chose. Aujourd’hui, l’urgence c’est d’avoir un syndicalisme qui fasse face à cette offensive, conjuguée entre le gouvernement et le Médef.

J M A : Bernard Thibault, qui n’aime pas la réforme de Jean-Pierre Raffarin. Remarquez ce n’est pas très surprenant !

B T : Non... et elle nous rend plus combatifs encore…

J M A : ... vous étiez l’invité d’RTL ce matin. Bonne journée.

Article publié le 10 décembre 2004.


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